Développement de la préhension de la naissance à 2 ans
Développement de la préhension de la naissance à 2 ans
Principes généraux
Le développement moteur inclut entre autres le développement postural, le développement locomoteur et celui de la préhension. Ces trois aspects ne sont d’ailleurs pas indépendants, le développement dans un domaine influençant le développement dans les autres. Par exemple, la capacité posturale de se tenir debout en s’appuyant sur un meuble permet à l’enfant d’exercer son sens de l’équilibre, lequel sera par la suite nécessaire à la marche (Piek, 2006). Le développement moteur dépend de plusieurs facteurs. La maturation physique (longueur des bras, des jambes, etc.) et neurologique exerce une influence importante (Cadoret et Fréchette, 2008). Par ailleurs, le contexte de vie et les expériences jouent aussi un rôle dans l’ordre et le moment d’apparition des comportements (Cadoret et Fréchette, 2008).
Les théories classiques, comme celle de Gesell, ont longtemps accordé une place prépondérante à la maturation pour expliquer le développement moteur. De plus en plus, on adopte plutôt une approche dite de « dynamique de système » (Piek, 2006). La représentante la plus connue de cette approche est Esther Thelen. Elle explique le développement moteur par l’interaction de plusieurs systèmes et paramètres, qui résulte en un développement non linéaire des différents comportements moteurs. Parmi les paramètres à considérer, on trouve : la force de la gravité, la maturation neurologique, le poids des membres du corps, les expériences de l’enfant, sa motivation, le développement d’un système comportemental particulier (par exemple, le système locomoteur), etc. Le développement moteur observé chez la plupart des enfants s’expliquerait par l’interaction de ces différents paramètres plutôt que par un seul programme central prédéterminé et d’origine neurologique. Par exemple, Thelen a démontré que le réflexe de marche présent à la naissance était influencé par le rapport entre la force musculaire des enfants et le poids de leurs membres inférieurs (être placé dans une piscine diminue l’influence de la gravité et augmente la fréquence du réflexe). La présence ou l’absence du réflexe ne dépendrait plus seulement d’une programmation neurologique, même si la maturation neurologique a encore un rôle important à jouer (Piek, 2006).
Le développement de la préhension
La première forme de saisie chez l’enfant est le réflexe de préhension, qu’on peut observer dès la naissance et même provoquer pendant la période fœtale (Bly, 1994). Comme tous les réflexes, il s’agit d’un comportement involontaire à la suite d’une stimulation précise : lorsqu’on met un objet dans la main d’un nouveau-né, il ferme automatiquement sa main sur cet objet. Il ne peut alors le relâcher volontairement. La force de ce réflexe diminue vers 3 mois et le comportement de fermer la main devient progressivement plus volontaire. Cependant, la capacité de relâcher à volonté un objet lorsque la main est fermée prend plus de temps. Elle apparait de façon limitée vers le 5e mois, et l’échange d’objets d’une main à l’autre est plus difficile avant cet âge (Alexander, Boehme et Cupps, 1993; Bly, 1994).
La capacité à atteindre avec un certain succès un objet par soi-même est présente vers 3-4 mois. Il y a avant cet âge des mouvements des bras provoqués par la présence d’un objet devant l’enfant, mais qui aboutissent peu souvent à un contact avec celui-ci (on parle en anglais de « prereaching »). Ces comportements sont visibles si un adulte aide le bébé à surmonter ses difficultés posturales en le tenant correctement (Fagard, 2000).
Lorsque les premières atteintes fructueuses d’un objet se produisent, à 3-4 mois, elles se font surtout de façon bimanuelle, c’est-à-dire avec la participation des deux mains. Par la suite, le geste d’atteindre deviendra de plus en plus unimanuel à partir de 5-6 mois jusqu’à 12 mois. À partir de 12 mois, on assiste à une résurgence des atteintes bimanuelles. Ces fluctuations s’expliqueraient à la fois par des changements neurologiques et par le développement des capacités posturales : les saisies sont bimanuelles à 3-4 mois, car l’enfant doit déplacer ses deux bras de façon symétrique pour garder son équilibre. Si on l’aide à demeurer stable à cet âge, on observe plus de saisies à une main. De la même façon, la résurgence des saisies bimanuelles à 12 mois s’expliquerait par le développement de la marche à cet âge : les premiers pas de l’enfant se font avec les deux bras levés symétriquement pour garder son équilibre (Cadoret et Fréchette, 2008; Fagard, 2000; Piek, 2006). Cette interaction entre le système postural et la préhension est un bon exemple de la dynamique de système mentionnée plus haut. Évidemment, la grosseur de l’objet ou sa position relative par rapport à l’enfant peuvent influencer la décision de le saisir à une ou deux mains, peu importe l’âge.
Bien qu’à 3-4 mois les bébés arrivent à atteindre les objets placés à leur portée, ces gestes sont encore maladroits et imprécis. L’objet est souvent heurté par les mains plutôt que saisi. S’il n’est pas fixé ou stable, il risque d’être balayé ou renversé de la main. Il faut attendre vers 8-9 mois pour que l’objet soit plus souvent saisi du premier coup que d’abord touché avant d’être saisi (Fagard, 2000). Le tracé de la main devient progressivement plus fluide et direct. On observe une diminution du nombre d’accélérations et de changements de vitesse au cours du geste d’approche à mesure que le bébé vieillit (Lehalle et Mellier, 2005). De même, dans les premières saisies de 4 mois, l’ouverture de la main en fonction de la taille des objets se fait après le contact avec ceux-ci. L’ouverture de la main en fonction de la grosseur de l’objet pendant le geste d’approche ne sera présente qu’à partir de 9 mois (Fagard, 2000).
Une autre chose qui varie avec l’âge est le comportement du bébé lorsqu’un objet a été saisi. Alors qu’à 2 mois les objets sont directement portés à la bouche, le bébé, à 4 mois, les observe plus fréquemment avant de les mettre dans sa bouche (Piek, 2006). Les explorations tactiles de l’objet avant de le porter à la bouche augmentent aussi après l’âge de 2-3 mois (Cadoret et Fréchette, 2008).
Quant à la précision de la prise d’objets, elle suit l’évolution suivante. À 6 mois, les objets sont saisis de façon palmaire, c’est-à-dire en utilisant surtout la paume de la main et sans opposition du pouce aux autres doigts. Cette prise fonctionne pour de gros objets, mais le bébé ne dispose pas de prise efficace pour de petits objets. Puis, progressivement, les objets pourront être saisis de façon radio-digitale, c’est-à-dire sans avoir à utiliser la paume de la main, et en opposant les doigts au pouce. Finalement, vers 9 mois, l’enfant utilise de plus en plus souvent la pince digitale, soit l’opposition pouce-index, pour saisir de petits objets (Paoletti, 1999). Bien que cette évolution classique soit connue depuis longtemps, des recherches plus récentes montrent qu’avec des objets de formes et de tailles particulières, on peut parfois observer des prises digitales dès l’âge de 4 mois (Cadoret et Fréchette, 2008). On peut quand même conclure que la capacité à utiliser la prise digitale augmente avec l’âge (Fagard, 2000).
La tendance à adopter des approches bimanuelles ou unimanuelles a déjà été décrite plus haut. Il reste à montrer comment les deux mains peuvent se coordonner lorsqu’un objet est atteint, en d’autres mots comment elles peuvent effectuer des mouvements différenciés et complémentaires. Dès 7 mois, les bébés font des activités où une main tient ou stabilise un objet pendant que l’autre explore ou manipule celui-ci. Par contre, il faut attendre vers le 12e mois pour que les deux mains effectuent fréquemment et avec succès des mouvements différenciés et simultanés. Par exemple, soulever le couvercle d’une boite avec une main pendant que l’autre main récupère un objet dans la boite. Cette tâche est plus facile si les deux mains agissent successivement plutôt que simultanément : une main soulève le couvercle, puis le maintient ouvert, puis l’autre main récupère l’objet (Fagard, 2000).
Finalement, pour ce qui est de déterminer si les bébés sont droitiers ou gauchers, il existe de nombreux indices montrant une préférence manuelle très tôt dans la vie. Par exemple, la majorité des fœtus montrent plus de mouvements spontanés de la main droite (Cadoret et Fréchette, 2008). Certains réflexes présents à la naissance et l’asymétrie posturale permettent aussi de prédire une éventuelle préférence pour la main droite chez la majorité des enfants. Néanmoins, les recherches visant à évaluer la latéralité dans les activités manipulatoires au cours de la première année montrent des résultats peu clairs et parfois même contradictoires : certains enfants utilisent plus une main à un âge, puis changent pour l’autre main à un autre âge. On peut résumer en disant que la préférence manuelle est plus facilement observable et stable au cours de la deuxième année de vie et qu’elle tend à devenir de plus en plus prononcée entre 2 et 4 ans (Fagard, 2000). Notons finalement qu’en plus de l’âge, la nature des manipulations à effectuer peut aussi faire ressortir une préférence ou une meilleure dextérité avec une main. Les prises et les manipulations complexes favorisent l’utilisation de la main droite chez la majorité des bébés. De même, au cours des activités bimanuelles, la main droite a plus de probabilité d’être active alors que la main gauche a surtout un rôle de stabilisation de l’objet, chez la plupart des enfants (Fagard, 2000).
Références
Alexander, R., Boehme, R. et Cupps, B. (1993). Normal development of functionnal motor skills. The first year of life. San Antonio, TX : Therapy Skill Builders.
Bly, L. (1994). Motor skills acquisition in the first year. An illustrated guide to normal development. San Antonio, TX : Therapy Skill Builders.
Cadoret, G. et Fréchette, N. (2008). Le développement psychomoteur de 0 à 3 ans. Dans C. Bouchard (dir.) et N. Fréchette (collab.), Le développement global de l’enfant de 0 à 5 ans en contextes éducatifs. Québec, Québec : Les Presses de l’Université du Québec.
Fagard, J. (2000). Le développement des habiletés manuelles. Dans J. Rivière, Le développement psychomoteur du jeune enfant. Idées neuves et approches actuelles. Marseille, France : Solal éditeur.
Lehalle, H. et Mellier, D. (2005). Psychologie du développement : enfance et adolescence, cours et exercices (2e éd.). Paris : Dunod.
Paoletti, R. (1999). Éducation et motricité de l’enfant de deux à huit ans. Montréal : Gaëtan Morin.
Piek, J. P. (2006). Infant motor development. Champaign, IL : Human Kinetics.